Tiré du recueil Satori Express, voici le poème « L’ombre d’une pierre qui roule », pour vous faire (re)découvrir Zéno Bianu.

Couverture Satori Express

L’OMBRE D’UNE PIERRE QUI ROULE

(sur une photo de Maxime Godard)

pour Mick Taylor

quelque chose

s’est fripé dans ton visage

la marque la trace

de milliers de solos

quelque chose

on ne sait

s’est figé un jour

un frimas du cœur

cinq ans avec les pierres qui roulent

sans vraiment refaire surface

cinq siècles de sourires

épuisés

quelque chose

sans répit s’est creusé

quelque chose d’absolument voûté

à ta manière de dandy rural

d’Oscar Wilde mal ficelé

capable d’offrir

sa vulnérabilité

une fissure

dans les hauts-fonds de la mémoire

une fissure originelle

un effondrement vertébral

le blues même

comme boussole interne

au cœur des cellules

le grand révélateur

tourner

tourner encore et toujours

franchir toutes les frontières

Atlanta Bratislava

jouer lors d’un même concert

Catfish Blues

Red House

Little Red Rooster

continuer d’exister à tout prix

à toute vie

une quête de salut

jusqu’au cœur du spectral

donner

s’adonner

s’abandonner

jeteur de sorts

ou pipeur de dés

tu lâches des grappes de notes

tous ces raisins jaspés que l’on cueille

sur l’autre versant du miroir

tu as su

t’autodétruire lentement

naturellement

vivre chacun de tes jours

en sommeil paradoxal

tu as su faire

de vieux os

les grands jardins liquides

tu les as explorés

entre lassitude

et claire lumière

tu maîtrises à présent

chaque larsen

comme un retour à la maison

après une guerre lointaine

jusqu’à capter

les tressaillements du silence